Fred A. VIGUIER
1+1=1
« En Australie, le papier toilette est devenu une denrée rare et convoitée depuis l’apparition du coronavirus. Au point que la situation peut vite dégénérer.
Dernier exemple en date : une scène surréaliste dans une épicerie de Sydney, lorsque trois femmes en viennent aux mains, se tirant les cheveux et s’insultant pour un simple rouleau de papier-toilette. Jusqu’à ce que la police mette fin au pugilat. Les forces de l’ordre ont également dû intervenir dans un autre magasin où un client n’avait pas hésité à sortir un couteau pour mettre la main sur du papier hygiénique. » Midi Libre 09/03/2020
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À l’aube de son extinction, Homo sapiens sapiens a brutalement sombré. Tout est allé très vite, avec une soudaineté diamétralement opposée au lent processus d’évolution qui l’avait conduit à la domination du vivant, au fil des centaines de millénaires, depuis les prémices de la bipédie balbutiante jusqu’au séquençage du génome humain. Le génie et l’instinct d’adaptation qu’il avait manifestés depuis les âges où il avait commencé à dompter son environnement s’étaient évanouis subitement, tel un étrange syndrome de régression fulgurante. Témoin direct de cette chute vertigineuse, je me contentai d’observer ce spectacle avec amusement, sidération et alcool, tel un Benjamin Guggenheim, dans son gilet de sauvetage, sirotant son brandy sur le Titanic en pleine inclinaison fatale. À la différence que je ne porte pas de gilet de sauvetage et que je bois mon vin rouge au goulot. Avec Joy Division en guise d’orchestre stakhanoviste et l’humanité en fusion thermonucléaire en place de l’Atlantique frigorifiée. Il avait fallu attendre une pandémie mondiale pour que les Pékinois du XXIe siècle puissent contempler l’azur du ciel pour la première fois de leur existence, la mise en sommeil forcée de l’activité industrielle et économique ayant dissipé la pollution dans l’atmosphère de l’Empire du Milieu. Pendant un trimestre, la première fois, en mars 2020, la tumeur maligne du règne du vivant – Homo sapiens sapiens – s’était confinée, blottie, réfugiée à demeure, effrayée par un virus de quelques 0,2 microns tel l’homme de Neandertal grelottant dans son obscure caverne, terrorisé par ses prédateurs à dents de sabre. Le confinement de masse, à échelle mondiale, comme une régression prénatale universelle, retour au stade de fœtus, lové au fond de l’utérus originel, doux et nourricier, rassurant et protecteur. Chaud.
Les rayons du sommeil inondent la nuit sans lune tandis qu’un songe incontrôlé s’empare de mon esprit allégé. Au dehors – il me semble au loin -, le vent caresse les feuillages verdoyants des végétaux ressuscités au cœur d’une nature jubilant à nouveau. Je nage dans la forêt, au-dessus des arbres. La gravité n’a plus d’effet. Mon âme s’est évanouie au creux de l’extase, au cours d’un voyage cosmique qui mène sur les rives d’un fleuve sacré à l’onde orange et tiède, aux portes d’un palais magique et fleuri. On y côtoie des anges surgis d’un fragment ancestral et intemporel du passé ; mon âme retourne dans ses errances pré-fœtales, en des sphères immatérielles. En un éclair, je vois des étoiles de cristal exploser en toute sérénité et se métamorphoser en ouate suave aux reflets aveuglants. Je nage dans la forêt, au-dessus des arbres. La gravité n’a plus d’effet. Puis il me semble me transformer pour un infime instant en une bulle à la composition chimique d’un gaz qu’on ne trouve que dans des galaxies phosphorescentes situées à des siècles-lumières du soleil, en des contrées abandonnées des dieux. Puis, aussi vite, je me rapproche du système solaire où je me laisse flotter parmi les astres en fusion, baignant dans la béatitude cotonneuse de la volupté charnelle. La lumière inonde mes yeux, photosynthèse. J’ai parcouru les continents. J’ai rencontré bien des beautés. J’ai arpenté les galaxies. Je me suis laissé dériver.
Tout est parfait. L’alchimie est désormais accomplie et le temps est venu de tout détruire, pour ensuite tout reconstruire. La méthode reste à définir. Quelques étoiles se sont éteintes hier dans l’indifférence généralisée. Les odeurs de l’enfance ont resurgi. Le retour de l’innocence sacrée laisse envisager la grâce.
Le jour d’après la chute des civilisations humaines, il neigea sur le Sahara. La pulvérisation des Pyramides et la corrosion des chemins de fer, l’effondrement des ponts et des cathédrales eurent lieu, patiemment, quelques siècles plus tard. Les édifices humains survécurent un temps à leurs architectes, mais leur éphémérité les gomma eux aussi de la mémoire de la planète, à l’instar d’une maladie juvénile peu à peu oubliée par l’organisme de l’adulte. Les dernières traces du passage d’Homo sapiens dans l’univers furent, quelques centaines de millénaires après son éradication, les déchets nucléaires et les lingots d’or, symboliques vestiges de la folie de l’animal le plus évolué de l’univers.
Parallèlement à la déchéance du monde, mon être, tant physique que mental, poursuivit, de mon cri primal à mon râle perpétuel, une trajectoire similaire jusqu’à sa réduction à sa forme la plus vile et la plus méprisable, tel que je suis à l’orée de mon imminente fusion holistique.
Je naquis, en ce qui concerne cette présente vie, en 1970 qui fut une année commune commençant un jeudi. Cette année-là, Pâques étant tombé le dimanche 29 mars, le jeudi de l’Ascension était le 7 mai. C’est l’année où moururent Janis Joplin, Jimi Hendrix, Charles de Gaulle et André Raimbourg, dit Bourvil, tandis que mettait bas la mère de Melania Trump, épouse de Donald, et que les Beatles se séparaient. En 1970, 14 202 garçons reçurent le prénom de Frédéric en France, soit le sixième le plus donné aux mâles et le dixième tous genres confondus. Au XXe siècle, on faisait toujours une distinction de genre et les prénoms différaient selon le sexe de naissance. Certes, il y avait des Frédérique femelles, mais on peut noter une nuance orthographique avec le prénom mâle que je reçus en baptême lors d’une cérémonie liturgique humide, sans avoir cependant donné mon accord pour cette immersion superstitieuse. En 1970, le film Macadam Cowboy de John Schlesinger remporta l’Oscar, une première pour un film classé X. Le Brésil battit l’Italie par 4 à 1 en finale de la Coupe du Monde de football à Mexico city tandis qu’Eddy Merckx remportait le Tour de France durant ce même été. En ces temps-là, les compétitions se déroulait en public, avec parfois des dizaines de milliers de personnes simultanément, sans masque, et ceci n’avait quasiment pas d’incidence sur la situation sanitaire, sauf lorsque les stades s’effondraient ou quand les spectateurs se piétinaient en s’insultant pour la gloire d’une couleur. Le 5 avril 1970, Charles XII devient roi de Suède à l’âge de 14 ans, et, le 4 novembre, Concorde atteint Mach 2 pendant 53 minutes. En effet, en ces temps étranges, des rois régnaient sur certains peuples et des avions volaient au-dessus des têtes, tout là-haut, dans le ciel bleu, souillant l’air que nous respirions candidement à pleins poumons.
En 1830, Charles X, tel un Hernan Cortez trois siècles plus tôt, entreprit de faire main basse sur l’Algérie, comme tous, des Romains aux Ottomans, durant les deux millénaires précédents, avec à terme pour objectif de domestiquer et d’exploiter tout le continent africain. Quelques années plus tard, mes ancêtres paternels y constituèrent les premiers colons français qui inventèrent du coup la nation algérienne, jusque-là un conglomérat de tribus errantes. Pendant ce temps-là, les Polonais contestaient le joug tsariste et subissaient la répression des vaincus. En 1946, mes ancêtres maternels immigrèrent en France pour servir d’esclaves un peu rémunérés dans les mines de charbon et dans les complexes agricoles de la mythique France rurale, tandis que mes aïeux paternels débarquaient à Marseille en 1962, avec une valise en carton pleine de larmes pour seul bagage. Un bénin accident de voiture en 1969 se chargea de mettre en relation mes géniteurs. En 1969, la ceinture de sécurité n’était pas obligatoire et d’ailleurs ni l’un ni l’autre n’en portaient ce jour-là. L’improbabilité de mon existence m’a toujours fait relativiser sa réelle valeur. Mais il en est de même pour la moindre molécule du vivant.
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Deux millénaires plus tôt, je naquis, déjà, dans une étable. C’était quelques années avant mon ère. Une légende prétend que des rois me rendirent visite peu après, guidés par un astre. Tout ceci est évidemment bien exagéré, comme beaucoup de choses me concernant. Tant d’illuminés n’ont pas saisi, au fil des siècles, la dimension métaphorique de mes actes, de mes paroles, et même de mon existence. Tant de crimes furent commis au nom de ce quiproquo et, il faut bien le dire, d’une bêtise insondable. Je n’étais que joie et je n’ai engendré que du malheur. Je n’amenais que la destruction et des hommes, tant d’hommes, ont bâti tant de délires à partir de la foudre qui jaillit de mon index dévastateur. Je n’ai jamais voulu ceci, tout comme je n’ai jamais souhaité cette force. J’ai subi dans l’impuissance. Ma surpuissance a absorbé mon être, tel un homme possédé par la folie qu’on nomme démon. Je suis folie, mais je suis aussi amour. Ma sagesse inspire la haine, c’est bien étrange. Je suis esprit et les hommes m’ont voulu de chair, quitte à me prêter une existence ordinaire, de la naissance à la mort. Ils m’ont voulu divin et ils ont sacralisé l’abjection de mes derniers instants parmi eux, de la couronne d’épines à l’asphyxie sur la croix, traité tel un vil voleur de chèvres sodomite. Ils ont fait de mon humiliante torture un épisode magique. Ils ont fait de l’instrument de ma souffrance le symbole de leur dévotion. Ils ont monté ma souffrance en pendentif et se sont prosternés devant des reproductions de la croix sur laquelle ils pensent que j’ai inspiré mon dernier air et vomi des litres de sang mêlé aux miasmes de mes entrailles. Ils l’ont même accrochée au-dessus de leur lit. « Pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font … » Honteux de leur animalité avérée, ils s’étaient émancipés, depuis des âges déjà, du singe et du règne du vivant tout entier. Puis ils avaient créé le sacré pour que la créature ait un Créateur et pour donner un sens à l’inintelligible. Vingt-et-un siècles après ma naissance terrestre, le pape siégeait encore dans la cité de mes bourreaux avant que Rome ne fût emportée par la fureur des éléments et les Romains vaincus par la folie et la fureur nucléaire.
Enfant, à Nazareth, les amies de ma mère me complimentaient souvent. Je les avais entendues plusieurs fois, puisant de l’eau dans le puits, dire que j’étais beau et bon. Ma mère m’a dit un jour, je m’en souviens clairement encore, nombre de millénaires plus tard, que j’étais un être divin et unique, une bénédiction, un miracle et une source de félicité éternelle. Par la suite, bien plus tard, même sur la croix du Golgotha, une idée me traversait parfois l’esprit, une idée selon laquelle c’est à cette période que j’avais commencé à penser que j’étais différent, puis exceptionnel, et enfin, en effet, divin et unique. Mon père Joseph n’était pas populaire à Nazareth. Il avait la réputation d’être un homme méchant, malveillant et détestable. Un salopard de première. On disait qu’il était un traître à son peuple et impie envers Dieu, fournissant parfois des catins aux Romains ou leur livrant des rebelles zélotes. Plusieurs fois, après avoir frappé, comme souvent, Marie, celle-ci disait à ses amies que Joseph, si vil, ne pouvait être mon père, moi qui étais si parfait. D’autant plus qu’il ne l’avait jamais touchée avant ma naissance. Ces insinuations ont forgé en moi une identité étrange faite à la fois de fébrilité et de puissance. Quoiqu’il en soit, je suis différent. Je l’ai su à l’aube de mon existence terrestre. On a imprimé cette certitude dans mon âme au point de la rendre réelle. À partir de l’instant où cette évidence ne souffrit plus de doute, tout devint limpide. Tout prenait son sens, ma vie de chair, ma mission parmi les créatures, le souffle insufflé dans mes narines, les battements de mon cœur, mais aussi le vent et la pluie, l’odeur des fleurs, l’envol de l’abeille, la fureur, l’amour, la vie, la mort, la souffrance, l’extase, la parole et les actes. Tout est parfait et merveilleux.
Certains, dans leur grande malveillance et leur impiété, chuchotaient sous leur cape que ma divinité était un mensonge et une invention de mes parents pour cacher le péché d’adultère de Marie et la honte de Joseph, évitant ainsi la répudiation de ma mère, voire son exécution par lapidation pour cette faute capitale, et les moqueries envers mon père et son imaginaire lignée glorieuse qui aurait débuté avec le grand David de Nazareth et dont il devenait commode et opportun que je fusse l’héritier et l’incarnation de l’avènement du Royaume. La haine envers l’usurpateur Hérode facilita cette théorie qui faisait de moi le Messie et le Roi des Juifs tandis qu’elle lavait la souillure de l’infidélité. Ces mêmes divulgateurs trouvaient dans le voyage en Égypte que Joseph nous imposa une façon de fuir la chute en disgrâce de la famille car personne ne se souvenait du prétendu Massacre des Innocents de Bethléem.
La nuit, je rêvais du cosmos infini, je cherchais en vain des images de mon étoile d’origine. Je sentais mon cerveau se comprimer, comme s’il était dans un étau qu’on serre lentement. Cette sensation était très agréable. Mon cerveau semblait fait d’ouate, souple et suave. Mon corps avait, me semblait-il (mais était-ce une illusion ?), la consistance d’un vaporeux nuage flottant dans l’atmosphère au gré des vents. Mon esprit avait la densité d’un rayon de soleil, la vitesse de la lumière et la puissance des astres en fusion. J’étais le soleil d’une galaxie en genèse, à l’activité énergétique exponentielle, irradiant les millions de planètes d’un monde situé dans une autre dimension spatio-temporelle ; et dans un même temps, j’étais une étoile morte, cadavre stellaire voguant dans les ténèbres glacées d’un recoin de l’univers, aux confins du néant absolu que la lumière n’avait jamais éclairés.
Je suis l’étincelle de la vie insufflée dans les narines de chaque animal. Je suis la sève qui parcourt les racines de chaque plante. Je suis la photosynthèse. Je suis le poison et l’antidote. Je suis chaque animal et chaque plante, chaque pierre et chaque goutte d’eau dans les océans et les rivières. Je suis la planète Terre et je suis tous les astres de l’univers infini, ceux qui sont éteints et ceux qui naîtront durant l’éternité des âges. Je suis la joie et la douleur. Je suis la mort et la résurrection, les flammes de la Gehenne et les fruits sucrés de l’Eden. Je suis la perfection et la perfection englobe la totalité des choses, le Bien et le Mal. Je suis le sang qui coule dans les veines et celui qu’on répand lors des sacrifices à la gloire des anges déchus. Je suis la chair et la poussière, l’eau et le feu, le métal et la rouille. Je suis le flocon de neige qui déclenche l’avalanche et je suis la goutte d’eau qui provoque la crue du fleuve. Je suis le dernier grain à couler dans la bulle basse du sablier, lorsque le temps imparti a échu et que les conséquences vont s’abattre inéluctablement. Je suis le milligramme d’héroïne qui mène à l’overdose et je suis l’atome de carbone qui a engendré la vie sur Terre.
Tout est parfait et merveilleux.
Je suis le néant et l’infini. Je suis Dieu et pourtant Homme.
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On a tendance à situer les prémices de la déchéance de l’Humanité à l’apparition du néo-wokisme ou à la pandémie de COVID-26-variant Σ dite du cochon fou, voire COVID-19, la souche originelle. Cependant, dès la Shoah des années 1940 et peu après avec la mondialisation capitaliste débutée au crépuscule du XIXe siècle, Homo sapiens sapiens avait déjà entamé sa chute de façon irréversible. On peut même dire qu’en 1850 il était déjà trop tard pour lui, tel qu’on sait voué aux cendres l’arbre desséché que frappe la foudre. À l’instar de la grenouille dans la casserole d’eau froide qui meurt asphyxiée sans réagir lorsque l’eau arrive à ébullition, le venin s’est insinué progressivement et discrètement dans la société globale, à dose infinitésimale, jusqu’à l’intoxication irréversible et fatale. Comme dit le cyborg T-800 interprété par Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2 (1991), « it’s in your nature to destroy yourself »1. La destruction semble s’inscrire dans le comportement humain comme une pulsion intrinsèque et inéluctable.
L’effondrement de la civilisation humaine, ou du moins, de ce qu’on pourrait nommer « le bref épisode humain de domination dans le règne du vivant sur la planète appelée Terre », trouva également sa source putride dans l’affrontement des cultures, des idéologies, des ethnies et des religions que les âmes bienveillantes avaient voulu croire un temps capables de vivre en harmonie. Elles n’auraient pu éventuellement se tolérer brièvement qu’en communautés. Mais les instincts tribaux avaient supplanté les velléités artificielles de fraternité engendrées par la culpabilisation et l’idéologie. Il n’y eut pas de grand remplacement, comme le prévoyaient dans les années 2000 ceux que l’on considérait comme des complotistes xénophobes et à qui l’Histoire ne put donner raison ou tort puisque cette étape du choc civilisationnel fut éludée par des événements aux effets radicaux plus immédiats.
Nombre de symptômes annonçaient dès les années 1990 l’agonie de la société que l’émergence des courants woke et la cancel culture vint confirmer de façon irréversible. L’édifiant épisode de l’Université d’Evergreen (États-Unis d’Amérique, état de Washington) peut illustrer, parmi tant d’autres, la genèse de cet effondrement civilisationnel qui allait en moins d’un siècle précipiter un monde multi-millénaire dans le néant et l’oubli. En résumé : à Evergreen, dès les années 1970 avait été instauré le Day of Absence. En avril, durant toute une journée, les enseignants et les étudiants non-blancs désertaient le campus afin de mettre en avant et de façon visuellement palpable le rôle primordial des minorités ethniques. Il s’agissait certes d’une opération dogmatique comportant des sous-entendus nauséabonds, mais ceci peut s’inscrire dans la vision communautariste et racialiste – voire raciste, la frontière est mince – de la société états-unienne, conception assez opaque pour les Européens du Sud, non-protestants, laïcs et assimilationnistes. Le cas de cette université gangrenée par le progressisme va devenir peu à peu source d’effroi avec la nomination en 2015 à sa présidence de George Sumner Bridges qui, tandis que Black Lives Matter avait déjà pénétré le campus et les amphithéâtres, décida de créer un comité d’éthique chargé de veiller à ce que l’équité soit respectée dans le campus, notamment en matière de discrimination raciale, de genre ou d’identité sexuelle. Dès lors, une idéologie antiraciste, dérivant des théories de l’intersectionnalité, s’imposa dans la terreur pour toute personne cherchant à la contredire de quelque façon. Tout geste ou parole devinrent a priori racistes, homophones ou misogynes s’ils émanaient d’une personne blanche, hétérosexuelle et de sexe masculin. Les exemples de cette terreur digne des grandes heures du stalinisme ou du nazisme se trouvent à foison dans le réseau numérique global. En 2017, le Day of Absence muta et il fut désormais interdit aux Blancs de pénétrer l’enceinte de la faculté ce jour-là. Les sanglots de Nelson Mandela, de Rosa Park et de Martin Luther King semblaient inonder les plaines de l’État de Washington et du monde entier. Des idiots lobotomisés étaient en train d’anéantir les acquis des Droits civiques et de tous les combats pour la justice et la paix entre les humains. Les opposants à ces délires idéologiques et sectaires furent harcelés, broyés, exclus et même menacés de mort. Une idéologie mortifère et autoritariste était née. Une civilisation entamait son agonie.
Black Lives Matter pose un problème dans son nom-même, bien qu’évidemment la situation de certains groupes sociaux et ethniques soit scandaleuse et indigne, aux USA comme ailleurs. Il est avéré que la police états-unienne est souvent coupable d’exactions insupportables et il est édifiant que ce soit les Noirs qui en pâtissent de façon récurrente et systémique. Mais la question est ailleurs. C’est le terme utilisé, tel un slogan définitif, qui dérange. Les vies des Noirs comptent. Ceci sous-entendrait que ce n’est pas une évidence et légitimerait de ce fait l’hypothèse qu’il est possible de penser que les Noirs soient inférieurs aux autres humains. Considérer que les Hommes sont divisés en races est en soit raciste, c’est d’ailleurs la définition du mot. Les essentialistes progressistes utilisent le terme de racisés pour définir les non-Blancs et ainsi borner les communautés, à l’opposé de l’inclusion prônée dans l’idéologie woke. La seule race humaine est Homo sapiens sapiens, seul représentant de la famille des hominidés depuis la disparition d’Homo neanderthalensis. Le racisme consiste à nuancer cette donnée scientifique.
À la fin des années 2020, j’étais chargé de communication pour une collectivité territoriale et une élue me transmit par e-mail un texte destiné à une publication sur les réseaux numériques dédiés. L’information en question n’avait pas grand intérêt (la sécurité alimentaire et la notion de locavorisme dans la restauration scolaire) mais était rédigée en écriture inclusive. Ulcéré par cette idéologie délétère dont je pressentais déjà les ferments de totalitarisme consubstantiel, je me permis une suggestion de message alternatif rédigé en français. Je reçus des foudres d’insultes, mais j’avais à ce moment-là déjà décidé de quitter ce poste, ma prise de position contrevenant au devoir de réserve du fonctionnaire n’étant de ce fait pas si courageuse tout en ayant une suave saveur de satisfaction intellectuelle. Je lui envoyai ce SMS, avec un brin d’ironie, dans l’espoir candide qu’elle le comprît :
« Ces personnes sont toutes des célébrités internationales. Ce sont des stars reconnues. On les considère comme des références, des sommités, pour certaines de ces éminences avérées on parle de légendes absolues. Ces figures intemporelles ont marqué le cinéma : Robert de Niro et Meryl Strip.
Tous les mots les décrivant sont féminins. Ceci exclut-il Bob de Niro et cette graphie dénigre-t-elle son genre ? Non, car il s’agit de mots décorrélés de l’identité sexuelle du sujet. Rien que pour cela on peut affirmer que l’écriture « inclusive » (qui en fait exclut) n’a aucune pertinence et ne fait que manifester l’inculture et la bêtise de ses adeptes qui n’ont aucune notion de l’essence de la langue française. »
Par la suite, je lui expliquai – avec malice et une certaine mauvaise foi puisque la communication sollicitée ne constituait pas un texte officiel – que l’écriture inclusive contrevenait à l’article 2 de la Constitution de la Ve République française qui dit « La langue de la République est le français. L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L’hymne national est la Marseillaise. La devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité. » Quel intérêt d’écrire « cher·e·s citoyen·n·es » plutôt que « chères citoyennes, chers citoyens » ou tout simplement « chers citoyens », si ce n’est pour des raisons stupidement et dangereusement idéologiques ? Stupidement, car ceci ne concours en rien à améliorer la condition des femmes. En turc, il n’y a pas ni féminin ni masculin. Ceci a-t-il engendré une société où les femmes sont épanouies pour autant ? Dangereusement, car les dictatures commencent toujours par inventer un langage afin d’effacer les idées qui lui sont antérieures avant de brûler les livres, déboulonner les statues et censurer l’Art.
Dans un ordre d’idées proche, une autre lubie, a priori bienveillante mais qui s’avère délétère au bout du compte, réside dans l’obsession égalitariste des wokistes déconstructionnistes, Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau et autres dégénérés du même acabit. En rejetant l’altérité pour fondre chacun dans une masse uniforme, ils balayent l’unicité de chaque humain. Ils confondent égalité et égalitarisme. L’égalité suppose des droits et des devoirs là où l’égalitarisme n’accorde que des droits et place l’intérêt individuel au-dessus du bien commun.
Si on va au bout du raisonnement théorique des partisans d’une société dogmatiquement égalitariste, la sélection naturelle serait un processus à combattre – on se demande bien comment – et, dans l’absolu, avec un brin de mauvaise foi intellectuelle, on pourrait dire que selon eux, même in utero, l’injustice aurait déjà sévi tandis qu’il eût été vertueux que tous les spermatozoïdes éjaculés dans le vagin, source magique de la vie, engendrassent chacun un être vivant. En un seul jour il y aurait un problème démographique à échelle planétaire… Et un soucis physiologique pour les génitrices. Les structures hospitalières auraient également du mal à suivre la cadence des accouchements.
Si on suivait aveuglément encore un peu la logique de ces utopies névrotiques, étant donné que 24% de la population active française est considérée comme handicapée, l’Assemblée nationale, par exemple, ou le personnel d’Air France, devraient être constitués de membres dans cette situation en ces proportions. Idem avec les 4% de Français qui s’identifient comme homosexuels ou les 0,8% (qu’on arrondira peut-être à 1%) de compatriotes licenciés à la Fédération française de hand-ball (FFHB). De savants calculs permettront que l’égalitarisme soit bien appliqué pour les hétérosexuels masculins, d’origine asiatique, catholiques, valides, membre d’une association de philatélie, salariés du BTP, gauchers, etc … et tous les autres citoyens. On verrait des finales du 100 mètres des Jeux Olympiques composées de 5 femmes et 3 hommes, dont 1 LGBT, 3 Noirs, 1 Blanc, 2 Asiatiques, 1 Arabe et 1 autre. Les humains sont égaux, ou du moins doivent l’être autant que possible, mais ils sont différents et c’est cette hétérogénéité qui fait la beauté de notre espèce. Une société ne se construit pas dans un classeur Excel.
Mais les progressistes sont là pour détruire la beauté. La beauté est faite de failles, de défauts. La beauté ne nécessite pas de symétrie. Un beau visage n’est pas symétrique, jamais. Une œuvre d’art ne reproduit pas parfaitement la réalité, c’est même là tout son objet. Lorsqu’ils auront fini de niveler les gens, comme des objets issus d’une usine, il ne restera plus que l’art du passé pour se remémorer l’altérité et l’imperfection, la différence et la richesse. Les hommes et les femmes sont différents. Les humains sont tous différents. Ils concourent à une unicité grâce justement à leur particularité et leur complémentarité. Souhaiter que tout le monde soit identique, égal, est digne des totalitarismes du XXe siècle. Les pertes militaires françaises au Mali et au Sahel sont, au 22 janvier 2023, de 58 militaires (57 hommes et 1 femme).
Je me souviens encore, bien que des centaines de millénaires se soient égrenés depuis, qu’il fut un temps, où, tel le dernier sursaut du moribond, l’Homme tenta sa « révolution écologique ». On parlait même, aussi ridicule que ce fût, de « sauver la planète », comme si elle eût été en danger et eût besoin de cet insignifiant mammifère pour continuer à tourner autour du Soleil. Les humains survivants des siècles suivants retrouvèrent vite l’humilité de l’animal en péril, mais cela n’enraya pas l’extinction inéluctable du vivant, du moins d’une grande partie des vertébrés de la planète. L’équilibre du macrocosme mit très longtemps à se rétablir. Il a fallu que l’humain retrouve sa grotte originelle et une place retirée et discrète. Une place qui est la sienne, misérable petit animal soumis comme tous, depuis le premier procaryote, aux contingences de la survie en symbiose avec les autres formes de vie organique, minérale, spirituelle et autres. En harmonie.
Loin est le temps où ma principale source d’angoisse pouvait être résumée au fait qu’une poignée de milliards d’années plus tard le Soleil allait s’évanouir après avoir tout asséché parmi le vivant terrestre et avoir fait fondre jusqu’à mon vinyle pressage UK original de 1967 de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (NM/NM-) et toute trace du passage d’Homo sapiens sur la planète jadis nommée Terre.
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Avant que je devienne un saint, du temps où j’avais une vie séculaire, la peau tannée par les incandescents rais du soleil de Judée et les dents jaunies et puantes, on me considéra tantôt comme un fou, tantôt comme un magicien, mais la plupart du temps, je n’inspirais à mes contemporains rien de plus que de l’indifférence, au mieux du mépris. Une poignée d’hommes et de femmes en quête de sens s’était convaincue que je puisse être un messie de plus. Je fus plus ou moins un rabbin qui, ignorant tout ou presque du dieu des Sadducéens, proposa un nouvel ordre iconoclaste, plus par facilité que par conviction ou révélation. Cela passerait fatalement par la destruction du Temple et la crémation de la Torah dans les flammes de ma fureur et de mon ignorance. Je suis la nouvelle Loi. Au fil des siècles qui suivirent ma vie d’humain, on m’ôta la judéité en faisant de moi le Christ. Mon peuple a été brutalisé durant des siècles en mon nom. C’est comme un serpent qui s’engloutit lui-même par la queue et se vomit ensuite par tous les pores de sa peau écaillée et par les cavités de sa tête hideuse.
Pour construire la nouvelle idée, il fallut d’abord détruire la précédente, même si le christianisme ne fut que le développement du judaïsme, et non le remplacement de celui-ci, comme sept siècles plus tard avec l’islam. Pour ériger cette mythologie, des hommes usèrent de mensonges et d’inventions autour de ma vie et de mes concepts. Ils racontèrent, des siècles après mon insipide existence parmi eux, une fable qui influença durant deux millénaires la civilisation humaine, ou du moins une partie.
Le raccourci peut sembler simpliste, mais, si les Livres avaient désigné Ponce Pilate et les Romains comme les responsables de mon exécution, les pogroms russes ou la Shoah n’auraient probablement pas eu lieu. À la place, Jean dit, dans son Évangile : « et Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Les Juifs ont inventé le monothéisme, en opposition aux cultes païens polythéistes, mais l’antisémitisme naît surtout dans le christianisme et l’islam, les deux religions issues du judaïsme. On insinue que le sanhédrin m’a condamné alors qu’il n’avait pas ce pouvoir. J’y étais. Je suis le seul aujourd’hui qui puisse rétablir la vérité. Ponce Pilate a ordonné ma mort, plus par indifférence que par conviction. Il est évident qu’il n’a jamais envisagé la portée de sa décision. Je dois témoigner des faits déroulés en ces temps reculés, bien qu’ils soient actuellement dénués d’un quelconque intérêt. Il faut me croire. Je n’ai pas trop d’inquiétude sur ce point, nombres ont souvent cru en ma parole. Pour dédouaner Pilate et confirmer la responsabilité des Hébreux, on a décrit l’épisode où le peuple juif peut encore me sauver et où il préfère permettre la libération de Barrabas, rebut de la société judéenne. Bien sûr, la trahison de mon ami Judas Iscariote a été l’autre fondement de deux millénaires de haine féroce et de massacres de masse. Les Évangiles ont sali la pureté de mon amour pour Judas afin d’asseoir leur nouvel ordre nauséabond. Ce n’est pas ce que je voulais, si tant est que je voulus quoi que ce fût.
Judas, mon amour, tu fus mon ange terrestre, mon inspiration magique, ma joie spirituelle et mon extase charnelle.
Ils n’ont rien compris. Pardonne-leur, depuis le paradis où tu sièges aux côtés des dieux.
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L’Humanité n’était déjà plus qu’une fébrile et agonisante forme de vie sur Terre lorsque trépassa Keith Richards à l’âge de 130 ans, en 2073, tandis que la population mondiale d’Homo sapiens sapiens ne consistait plus qu’en une centaine de millions d’individus, bien qu’il fût devenu impossible d’évaluer cette donnée faute d’outils techniques. Pour le peu de gens qui prirent connaissance de cette perte (en cette fin de siècle, il n’y avait quasiment plus aucun moyen de communication autre que le Morse ou le bouche à oreille), le choc fut violent car il faisait partie des animaux considérés comme éternels par certains. Il était tout de même à cette époque l’humain ayant a priori vécu le plus longtemps depuis que les données démographiques existaient. Cette perte remit même un temps en doute la loufoque théorie de l’infinitude biologique que certains, qui n’avaient pas conscience de la déchéance inéluctable de l’espèce, avaient élaborée dans un sursaut d’optimisme, en réaction aux complotistes wokistes néo-nazis qui avaient imposé leur idéologie de régression dans le tissu de la société.
Ils avaient peu à peu fait de moi, de Jésus et enfin d’Homo sapiens une divinité et le symbole de l’infinitude potentielle venait démontrer la faille dans l’Homme-dieu, celui que l’on pensait être un des premiers de la génération aboutie et sacrée. Révélée. Une lignée d’Hommes purs et parfaits qui abolissait l’individu pour atteindre l’holisme métaphysique. L’Homme s’était peu à peu accompli en une unicité composée de milliards de membres, tel un corps animal qui se meut par la synthèse de chaque cellule qui le constitue. Ceci fait de l’Humanité un dieu indivisible, infaillible et immortel.
Dieu est en nous, nous sommes Dieu, je suis Jésus, Jésus est un Homme, tous les Hommes qui ont jamais vécu sont Jésus, depuis les premières lueurs qui percèrent l’esprit humain du rayon du génie. Toumaï était Jésus, tout comme son frère et son fils, son ennemi et sa descendance à venir dans les siècles et les millénaires prochains. L’homme est un singe touché par la grâce de Dieu, mais il ne le sut pas tout de suite, tout comme il ne découvrit l’évidence de sa nature divine et unique qu’après des âges d’errance, d’erreurs et de doutes. Maintenant que tout était révélé et limpide, la notion de vie ou de bonheur n’avait plus de sens. Maintenant que nous savions notre divinité, les religions n’existaient plus et plus aucun mystère ne pouvait venir perturber la perfection de notre plénitude. Désormais, nous pouvions abolir les lois physiques et jongler avec les planètes et les astres de contrées enfouies aux fins fonds de notre mémoire intemporelle.
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SYNTHÈSE DU CONTEXTE HISTORIQUE
DES ANNÉES 2020 – 2080
(1- La chute de la République)
Au milieu du XXIe siècle, la population humaine ne comptait plus qu’un demi-million d’individus, survivants des pandémies successives et de plus en plus meurtrières, des guerres de civilisations et de société, de l’effondrement des technologies et du cataclysme climatique. Les préoccupations de ces mammifères apeurés étaient exclusivement de l’ordre de la survivance, à l’instar de ce qu’avaient vécu leurs velus ancêtres quelques centaines de millénaires auparavant, du temps où les premiers primates faisaient partie des proies dans le cycle alimentaire du vivant.
La déchéance de l’espèce avait débuté par une quasi-extinction engendrée d’abord par les pandémies de maladies respiratoires des années 2020-2040, mais surtout la foudroyante propagation des maladies neurodégénératives qui pour la seule année 2047 avaient tué plus de cinq milliards de personnes, dont plus d’un pour le seul continent africain. L’Europe septentrionale et le Proche Orient furent également décimés à grande échelle. Par exemple, la population d’Israël, qui comptait environ dix millions d’individus en 2030 était réduite à vingt-quatre mille trois cents en 2050. Le premier choc planétaire fut biologique. L’activité humaine consistait alors principalement à incinérer à échelle industrielle. La première moitié du XXe siècle avait connu la guerre à échelle planétaire. La première moitié du XXIe siècle avait connu l’hécatombe biologique dans les mêmes proportions.
En 2028, à l’exception de la Corse et de l’Ukraine, tous les pays d’Europe étaient administrés conjointement la plupart du temps par les militaires et les Gilets Jaunes (qui n’avaient gardé que très peu de similitudes avec le mouvement complotiste et revendicatif de la France du premier quart du XXIe siècle). Par romantisme et récupération, le mouvement s’était approprié ce nom pour fonder son parti à échelle planétaire et dévorer de façon relativement fulgurante les démocraties, mais également les régimes totalitaires bâtis au XXe siècle. Dès 2025, les Yellow Jackets, mondialisés, comptaient en leurs rangs des militants de profils hétéroclites. Avant la purge des tribunaux de salut public des années 2030, des millions d’antivax et plus généralement anti-sciences en constituèrent les premiers activistes. Puis s’agglomérèrent nombre de cas sociaux, rebut de la société et autres racailles en tous genres. On y trouvait même des néo-wokistes et des dégénérés nostalgiques de la déconstruction française de 2023 qui avait, avec le recul, été le début de la fin. La chute de la civilisation telle qu’on l’avait connue depuis le XVIIIe siècle. Le bref âge d’or de l’Humanité anéanti par la ré-écriture de l’Histoire en écriture inclusive et les autodafés en places publiques. Les iconoclastes avaient ruiné cinq mille ans de civilisation.
La genèse de cette déchéance peut être datée et située. La chute était engagée, mais tout s’était accéléré en 2023, en France, tout comme les événements de ce pays avaient dévié le cours des destinées des peuples en 1789. En 2022, Emmanuel Macron fut réélu Président de la République avec 50,08 % contre le binôme Marine Le Pen / Eric Zemmour. L’abstention dépassait les 70% et la Ve République n’avait plus beaucoup de consistance face à tous les contre-pouvoirs alternatifs qui pullulaient sur Facebook et Twitter, sur le dark web, mais aussi dans les universités, les caves, les mosquées, les églises, les rond-points, les casernes, les abris anti-atomiques, dans l’ultra-gauche et l’extrême droite, chez les islamistes salafistes et les intégristes catholiques. Fake news et bêtise bien réelle. Les néo-féministes, qui utilisaient cette appellation à l’instar de la Chine qui se qualifia de démocratique en 1949, avaient définitivement installé les bases d’une guerre des genres et il ne s’agissait plus d’une métaphore.
En bref, la société ne comportait quasiment plus de nuances et la modération s’était évaporée dans la radicalité idéologique et la violence identitaire. Le communautarisme avait définitivement absorbé les dernières velléités de cohésion sociale et ethnique. La France avait cessé d’être une nation pour se limiter à n’être qu’un pays, un territoire, une géographie. Et la République allait connaître rapidement cette funeste destinée. L’assassinat d’Emmanuel Macron le 17 mars 2023, moins d’un an après le début de son second mandat, précipita la chute du régime. Ce jour-là, Alice Coffin, activiste LGBT, qui fut un temps élue Europe Écologie les Verts au Conseil de Paris, poignarda plusieurs fois dans la cuisse droite, sur le parking du Auchan de St-Pierre-des-Corps, Indre-et-Loire (37700), le dernier représentant de la République française tandis qu’il sortait de la cafétéria Flunch où il dînait incognito avec Brigitte après une visite protocolaire au Préfet local. Elle l’acheva en lui sectionnant le pénis avec les dents, dans un torrent de sang évoquant le flot d’hémoglobine se déversant de l’ascenseur de l’hôtel Overlook dans Shining de maître K. Si on en juge à la manifestation d’extase oculaire, voire de démence jubilatoire, qu’elle manifesta sur la vidéo Tik-Tok filmée et publiée par Sandrine Rousseau, sa récente épouse et sa complice dans ce geste héroïque, pour documenter l’événement historique (presque cinq milliards de vues en une semaine, monétisées par le couple héroïque), cet effet semblait constituer le but ultime et symbolique, la dimension artistique au-delà de l’acte politique, de l’action de la militante – la combattante – misandre. Elle motiva son acte par la nécessité de mettre fin au patriarcat toxique au sein des institutions et de la société en général. Son hystérie pathologique et sa haine des hommes avait conduit peu de temps auparavant à son éviction d’EELV. Il semble également qu’elle ait alors peu à peu embrassé l’idéologie nazie et imaginé dans son cerveau malade une révolution dans le feu et le sang. Elle avait la même haine systémique pour les mâles blancs hétérosexuels que celle qu’Adolf Hitler avait pour les Juifs. Il semble aussi qu’elle envisageait une solution finale similaire pour éradiquer ce fléau. Elle n’eut pas le temps de développer complètement ses funestes projets.
La Constitution de la Ve République prévoyait un intérim du Président du Sénat en attendant de nouvelles élections présidentielles. Cependant, Michel-Édouard Leclerc ne put exercer cette transition dans les conditions prévues par les textes. La République s’effondra sous les yeux sidérés des administrations qui n’avaient pas envisagé ce qui couvait dans les méandres de la société et qui explosa en quelques semaines. Tout d’abord, cette crise révéla que de multiples groupuscules étaient organisés et prêts à surgir à la première occasion. Et le présidenticide fut cette opportunité comme le hasard et l’Histoire en délivrent rarement. On connaissait depuis longtemps ces communautés idéologiques mais on découvrit à quel point il s’agissait de structures souterraines avec une hiérarchie de type militaire, avec une stratégie et des moyens insoupçonnés. Les jours de massacres et les fleuves de sang de l’été 2023 mirent à jour l’arsenal dont disposaient ces communautés qui avaient amassé nombre d’armes au fil des années.
On peut distinguer plusieurs entités homogènes qui se révélèrent durant ces heures de chaos.
Tout d’abord les wokistes dont les sphères dogmatiques allaient des néo-féministes LGBT aux anti-racistes indigénistes égalitaristes, des essentialistes aux candides islamo-gauchistes mélenchonistes adeptes de la cancel culture. Ce sont eux qui vont initier la Révolution de 2023 avec l’acte fondateur du 17 mars 2023. Ils constituaient à cette date moins de 5% des Français mais disposaient d’un réseau solide, sur le territoire hexagonal, mais également sur toute la surface du globe. Ils étaient très présents dans les universités et les médias. Ils entretenaient, plus ou moins directement, plus ou moins consciemment, même, des relations avec le grand projet islamiste de Jihad.
Très proches (ils s’uniront par la suite), les Gilets jaunes qui, comme évoqué plus haut, élargissaient leur champ vers les antivax, les complotistes, les survivalistes, les animalistes, les évangélistes et les néo-nazis. Leur force résidait principalement par leur nombre puisqu’ils pouvaient représenter jusqu’à 20% de la population. Le danger qu’ils inspiraient résidait également dans la pauvreté intellectuelle de leurs idées, l’ineptie de leurs thèses et la régression civilisationnelle qu’elle laissait craindre, à juste titre. Ceci eut d’ailleurs un effet cataclysmique lorsqu’ils absorbèrent en leur sein les wokistes et instaurèrent le régime totalitaire qui, indirectement, ravagea notre monde et notre espèce.
Ensuite, la troisième communauté active était constituée d’islamistes salafistes, de populations originaires d’Afrique et du Moyen-Orient et d’individus qui haïssaient la France. Les cités des banlieues françaises étaient depuis longtemps devenus des territoires enclavés en marge de la société civile et de la nation, mais la situation de 2023 allait précipiter le séparatisme et l’instauration de califats épars au sein du pays, jusque dans les zones rurales. Dans l’ombre la plus ténébreuse des tréfonds de l’Enfer, ce sont les Frères musulmans et l’État islamique qui tiraient patiemment les ficelles depuis des grottes en Turquie ou des palaces à Dubaï.
Enfin, la force la plus puissante, quoique la moins nombreuse, était l’Armée, pour des raisons logistiques et matérielles évidentes. Elle avait le soutien de nombreux Français, représentant le dernier reflet de la République évanouie et de l’ordre évaporé. Elle bénéficiait d’autre part de l’apport des technologies élaborées dans le plus grand secret depuis des années, notamment la robotique et l’intelligence artificielle dont les avancées extraordinaires allaient être révélées au grand jour par la force des événements.
Le geste d’Alice Coffin sembla un temps être le fait isolé d’une déséquilibrée notoire, tel qu’on en connaissait régulièrement de la part d’illuminés mahométans ou autres dégénérés de tous bords depuis des décennies. Cependant, il s’avéra rapidement qu’il s’agissait en fait d’un attentat planifié par un groupuscule de wokistes-néo-féministes allié à des fanges néo-nazies. L’apport logistique des identitaires radicaux fut bien précieux lorsque la situation tourna à la guerre civile. Les massives réserves d’armes de ces factions ont été déterminantes dans cette première phase de déchéance de la République. Les neu-Einsatzkommando étaient les chiens enragés et féroces des idéologues hallucinés de cette gauche égarée aux confins de l’ineptie, errant jusque dans les limbes nauséabonds du nazisme. Le temps était venu de briser leurs chaînes et d’enlever leurs muselières. Profitant de la panique engendrée par l’exécution du Président Macron, ils prirent d’assaut simultanément l’Assemblée Nationale, le Sénat, l’Élysée, Matignon, l’hôtel de Beauvau, siège du Ministère de l’intérieur et l’Hexagone Balard, siège de l’état-major des armées. Ce sont plus de quinze-mille hommes et plus de trois-mille femmes qui participèrent à cette opération, véritable manœuvre de guerre. On estime que plus de six-cent personnes, pour la plupart des fonctionnaires et des parlementaires, ont perdu la vie pour la seule journée du 17 mars 2023. Cette date constitue l’acte de décès de la République française et le début d’une période de chaos absolu.
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Je vis sur une étoile étrange, tout seul, et je n’ai pas peur. Ce lieu est désolé et ses fumantes rivières orange, tel un flot de lave en fusion, ne sont peuplées que de poissons hideux et de serpents démoniaques. Excepté ces animaux tristes, il n’y a que moi et mon arbre magnifique et immense, la plupart du temps sec mais qui fleurit parfois. Seule la faible et rare lumière envoyée par une distante lune parvient à percer l’obscurité éternelle de cet astre glacial et silencieux et à éveiller un temps le végétal majestueux. Mais je n’ai pas peur. Je n’ai pas été en contact avec un humain depuis plus de cinquante millénaires et j’ai presqu’oublié le système solaire de ma vie charnelle d’antan. Je ne suis plus qu’un gaz flottant au-dessus de mon arbre sacré, une vapeur d’eau qui parfois se liquéfie pour nourrir ses racines et ses feuilles éternelles. Je ne suis plus qu’un esprit dérivant dans l’infini, tel une molécule d’eau dans un océan ou un proton dans son atome. Une planète tournant autour d’une étoile. Une étoile perdue dans l’immensité du cosmos sans borne. L’infiniment petit gravitant au sein de l’infiniment grand. Je suis l’Homme ultime, la finitude de la vie sur Terre et dans l’univers entier. Mais je n’ai pas peur.
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J’ai quitté Nazareth car j’avais honte. Honte d’être différent. Ma mère avait cultivé en moi la certitude d’être divin et unique, mais ce n’est pas seulement ceci qui me donnait la sensation d’être différent. À l’orée de l’âge adulte, je n’avais pas les mêmes aspirations que les autres, ni les mêmes désirs. J’avais en permanence en tête la furie de Dieu déclenchée par les péchés de Sodome et Gomorrhe et les déluges de soufre et de feu qui anéantirent les deux cités. Quelque chose avait déplu aux anges qu’y avait envoyé Dieu et je devais sortir de Nazareth pour connaître l’étendue des vices et des péchés des Hommes. Je devais me confronter à la tentation et la vaincre comme je l’avais vaincue tant de fois où Marie de Magdalena s’était offerte à moi, telle une catin de la Géhenne, suintant de lubricité et de luxure. Sa chair ne m’inspirait que dégoût et l’idée de forniquer avec cette créature me terrifiait. Il me fallait partir loin, ce que je fis un matin, avec pour seuls bagages une vessie de chèvre remplie d’eau et du pain azyme.
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Ce matin-là, au début de ce siècle, comme souvent, le ciel de la plage de Parrot Bay, dans les îles Turques-et-Caïques, au cœur des Bahamas, avait des teintes turquoises, avec de floconneux nuages orangés et translucides, flottant tels des plumes, au gré d’un vent chaud et lent, enivrant et apaisant. La mer avait, semblait-il, la consistance d’un lait tiède d’un bleu plus immaculé que le blanc dont quelques timides bulles déstructuraient le calme plat et l’harmonie parfaite.
Sir P. arpentait pieds nus la plage de sable incroyablement fin, entre le minéral et le liquide. Par moments, le sol était trop chaud pour son épiderme plantaire et il dérivait alors de quelques pas vers la lisière de l’océan, dans la zone où les vagues viennent à intervalle régulier lécher avec audace la plage, avant de se retirer subitement, comme effrayées. Sir P. tirait de cette déambulation à sensation pédestre alternative un plaisir intense. Il s’agissait pourtant d’une joie prodiguée potentiellement de façon permanente par ces lieux depuis des temps ancestraux.
Ces instants étaient très éloignés, sans pourtant qu’on ne puisse parler d’expériences diamétralement opposées, des jours qui avaient précédé. Le dimanche passé, le 6 février 2005, il se trouvait à Jacksonville, en Floride, à quelques heures d’avion, pour se produire sous une pluie fine à la mi-temps du Superbowl, devant 78125 spectateurs présents dans le stade et 117,5 millions de téléspectateurs dans le monde, c’est-à-dire aux États-Unis puisque seuls eux avaient compris, depuis que ce sport existait, les règles du football. La performance fut magique, évidemment. Drive my car, Get back, Live and let die et Hey Jude furent déclamés à l’audience. Quelques jours plus tard, sir P. se retrouvait seul sur cette minuscule île des Caraïbes, comme projeté dans un rêve.
Au loin, il commençait à discerner la silhouette de maître K. sur la terrasse de la merveilleuse Rocky Point Villa. La somptueuse demeure faisait face à l’immensité de l’océan atlantique tandis qu’à l’arrière se déployait la foisonnante mangrove. Maître K. semblait l’attendre bien qu’il n’eût aucune connaissance de la présence de sir P. dans cette partie isolée du globe, loin des faubourgs londoniens où il leur arriva de se fréquenter au crépuscule de leur adolescence, quatre décennies plus tôt. Lorsqu’il reconnut sir P., au fur et à mesure que celui-ci s’approchait du resort, K. crut un instant qu’il s’agissait d’un effet de son récent sevrage des opiacés combiné à sa troisième vodka-orange, ce qui n’était pas sérieux à dix heures trente du matin, sous les assauts des ardents rayons de soleil, fut-on en février.
Comme lorsque Jean le Baptiste rencontra Jésus sur les rives du Jourdain, un ange émergea lentement des flots tandis qu’un éclair sans son et une lumière aveuglante inondèrent les lieux, éloignés de tout et de tous, presque nulle part dans l’infini. Il s’agissait là d’un des derniers moments de grâce et de perfection de l’Humanité. Sir P. et Maître K. évoquèrent, entre autre, quotidiennement des heures durant quelques jours, les temps glorieux dont ils avaient été les acteurs et les spectateurs émerveillés durant la décennie où leur espèce avait sautillé allègrement sur le sol lunaire avant d’y jouer au golf au début de la suivante. Pour eux, en fin de compte, et même pour certains qui n’étaient pas nés dans les années 1960, il s’agissait d’une époque glorieuse et merveilleuse, un des brefs instants d’apothéose pour Homo sapiens. Ensuite la fleur a commencé à se faner. Quelques décennies plus tard, la désolation allait s’insinuer dans les civilisations et les mener à la désintégration.
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Le désert est la parabole terrestre de la désolation des astres sans vie des abîmes du cosmos. Un espace abandonné où la mort s’exerce à détruire toute vie et toute joie. C’est pourtant là que le Baptiste m’envoya pour y chercher mon âme. Je suis parti à l’aube, un matin glacial, sans mot dire à Simon, Jacques ou quiconque, pas même à Judas. Je ne supportais plus, déjà en ce temps-là, leurs allusions à ma supposée sainteté ou ma prétendue filiation divine qui semblait incomber de façon si limpide à Jean, lui qui dispensait le sacrement dans les eaux bénies du Jourdain, plongeant chaque esprit dans le bain de la pré-existence in utero et le purifiant afin qu’il puisse apparaître en splendeur devant le Créateur, lavé des miasmes consubstantiels à sa condition de faible être. Moi, je n’étais que l’humble progéniture d’un minable charpentier de Nazareth et d’une pucelle nymphomane, mythomane et schizophrène. Je ne sais pas comment ils pouvaient soupçonner en moi une telle divinité. Je n’étais qu’un lâche, un misérable insecte que la brise effrayait et qui n’aspirait qu’à se réfugier dans la moindre cavité du sol craquelé par le soleil torride en attendant le calme, et s’il ne venait pas, en pleurant de désespoir dans le trou puant de l’insignifiance de mon être abject. Ce sont les autres qui ont choisi de faire de moi le fils de Dieu, d’abord ma mère, puis mes douze compagnons d’errance et maintenant Jean le Baptiste. J’avais longtemps cru qu’en effet j’étais exceptionnel et unique, tant ma mère m’avait martelé le cerveau avec cette idée lors des premières années de mon existence. Ceci a été remis en question le jour où j’ai rencontré Jean et ce sentiment dura quelques temps. Il a fallu que Satan se révèle à moi et m’éprouve pour que je vois enfin que, moi aussi, comme lui, j’étais de nature divine. Jean avait bien sûr raison. Je devais me confronter au néant et à la tentation pour me révéler. Le désert est une passerelle vers le cosmos sans borne et le vide absolu, l’infiniment grand et l’infiniment petit en même place. Dans le désert, il n’y a plus d’espace, plus de temps, plus de vie, plus de mort, plus de bien, plus de mal. Le corps s’évapore et l’esprit s’évanouit. Et Satan a champ libre pour essayer tous ses tours.
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SYNTHÈSE DU CONTEXTE HISTORIQUE
DES ANNÉES 2020 – 2080
(2- L’avènement de la déconstruction)
Dès le 20 mars 2023, un gouvernement provisoire fut auto-proclamé dans le chaos le plus total. Yannick Jadot et Sandrine Rousseau (Europe Écologie Les Verts), Christine Taubira (ex-Parti socialiste) et Alice Coffin, en vertu de son acte héroïque, en composaient l’exécutif hégémonique. La répartition répondait, dans la hâte de la situation, à un égalitarisme revendiqué avec un mâle (reliquat symbolique du patriarcat toxique. Jadot allait cependant être écarté du pouvoir en quelques semaines), une femme, une femme noire et une personne LGBTQQIP2SAA. L’incarnation de la société idéale. Jean-Luc Mélenchon essaya bien sûr de s’immiscer dans ce cercle restreint et cette tentative lui valut d’être directement incarcéré à Fleury-Mérogis où on perdit sa trace vers 2030 dans d’obscures circonstances. Le pénitencier – le plus grand d’Europe – fut d’ailleurs peu à peu, en quelques semaines, dès l’été 2023, vidé de ses infortunés hôtes et autres racailles dégénérées lorsque le Tribunal Révolutionnaire de l’Ordre Nouveau (TRON) commença à le transformer, comme toutes les prisons en France, en camp de concentration où s’entassèrent des dizaines de milliers d’opposants idéologiques. Une certaine conception de la gauche plus proche de Robespierre ou Staline que de Marx ou Jaurès. L’ombre du IIIe Reich planait également au-dessus de la Maison de la Radio, nouveau siège du pouvoir. Dans ce capharnaüm, les fantasmes refoulés de cette nouvelle autorité politique remontaient, depuis les abîmes vaseux de la mare miasmatique de leur esprit dégénéré, à la surface et s’expulsaient hors les corps et les âmes, tel un furoncle pestilentiel s’écoulant, enfin, après tant de frustrations contenues au fond des tripes. La confusion des événements permettait l’expression des natures enfouies, soulageant les esprits torturés par la mauvaise conscience du passé. Il s’agissait d’une révolution, ce qui est très proche d’une guerre. En temps de guerre, un moratoire tacite permet les pires horreurs sans jugement moral ni représailles de la société.
Fort de leur milice nazie sur-armée, dont les rangs grossirent de façon inattendue, l’ordre et la terreur régnèrent dans les premiers mois de ce soulèvement. L’armée régulière était désorientée et privée de son organe de commandement, tout comme la police républicaine. On estime d’autre part qu’une proportion (on a évoqué 10%) des effectifs de ces détenteurs du monopole de la violence légitime étaient des membres de l’ombre des neu-Einsatzkommando et autres groupuscules para-militaires impliqués dans la stratégie qui venait de se déployer et qui sommeillait depuis l’aube du XXIe siècle. Il fallait également y ajouter nombre de Gilets Jaunes et de survivalistes qui avaient eux aussi amassé au fil des années un arsenal impressionnant et une logistique digne d’une armée régulière. Les effectifs de cette milice furent également augmentés grâce aux volontaires venus de toute la planète, en grande partie des États-Unis. Tous les psychopathes du monde se donnaient rendez-vous à Paris et dans toutes les communes de France, de la métropole au plus petit hameau, dans un élan lyrique qui, dans des proportions bien plus vastes, évoquaient l’attaque du Capitole par les trumpistes-QAnon en 2021 ou, dans un contexte diamétralement opposé, l’afflux des Brigades internationales en Espagne à partir de 1936 . On peut ainsi estimer – il est difficile d’être précis – que l’ANO (Armée du Nouvel Ordre) comptait entre 2 et 6 millions de membres quand l’armée républicaine et les forces de l’ordre réunies disposaient de moins de 300 000 femmes et hommes, avec cependant un équipement conséquent et une expérience bien supérieure à ces brutes décérébrées. De ce fait, l’ANO et les wokistes aux commandes rencontrèrent peu de résistance durant la première phase de la révolution. Aussi bien les forces républicaines françaises que les autres nations n’osèrent intervenir, sidérées par la fureur et la violence. L’ONU condamna le putsch et vota des résolutions, ce qui, bien que le droit de veto et le siège de membre permanent au Conseil de sécurité de la France fussent suspendus, ne donna pas plus de résultats que toutes ses actions depuis 1945. L’organisation fut d’ailleurs définitivement dissoute en 2041. La France avait quitté l’OTAN en décembre 2022, d’où une passivité des atlantistes qui outrepassait l’aveugle neutralité imposée en cas de conflit se déroulant dans un pays non-membre, le fût-il depuis seulement quatre mois.
Après avoir écarté et incarcéré Yannick Jadot en juillet 2023, le triumvirat WEL+ (woke-ethnogenré-LGBT+) put laisser libre cours à ses fantasmes. En quelques semaines, quelques soixante-quinze mesures hautement symboliques furent prises. Il s’agissait de marquer les esprits. On peut citer l’extermination des animaux d’élevage en juillet 2023. Il était temps de mettre fin à cet holocauste, tel que décrit par Solveig Hallouin, intégriste animaliste, qui venait d’être nommée Ministresse de l’agriculture déconstruite. Dès 2019, elle avait déjà synthétisé sur sa chaîne Youtube sa pensée de façon limpide et psychotique : « L’élevage consiste à préméditer l’holocauste des camps de tueries avant même la naissance des individu·es. (note de l’auteur : arriver à utiliser l’écriture inclusive pour des animaux d’élevage relève de la psychopathie) La prolificité, le gigantisme et la boulimie sont génétiquement programmés. L’esclavage procréatif de l’élevage consiste donc aux viols industriels, marathons gestatifs, désenfantements, dans le but d’assassiner les esclaves de chair souvent spoliés de leurs sécrétions. STOP TREBLINKA ! ». En effet, son véganisme intégriste – pléonasme – ne pouvait envisager l’horreur de l’élevage à des fins alimentaires. Mais on ne pouvait pas l’interdire car, dans ce cas, il est évident que les agriculteurs cesseraient d’entretenir leurs bétails, du fait du coût que ceci représente, a fortiori sans retour sur investissement. On ne pouvait se résoudre à libérer dans la nature ces bêtes domestiquées depuis plus de dix-mille ans et se retrouver avec une prévisible hécatombe naturelle le long des routes et des champs, dans les villes et les campagnes. La solution la plus simple et la plus bienveillante fut donc l’éradication des individu·e.s qui n’avaient que trop souffert depuis tant de millénaires. Stop Treblinka. Ce sont les troupes d’élite des neu-Einsatzkommando qui se chargèrent avec jubilation de la glorieuse mission, en forme de récompense pour leur actes de bravoure depuis le 17 mars 2023. S’ensuivirent d’innombrables crémations de charognes énucléées, en décomposition, en partie consommées par les insectes et les oiseaux. Un holocauste à échelle industrielle, au-delà de la macabre productivité d’Auschwitz-Birkenau, Sobibór ou du Treblinka évoquée par Mme la Ministresse de l’agriculture déconstruite. Un épais nuage nauséabond plana sur l’Europe de l’Ouest durant des semaines, mêlant odeurs de cadavre carbonisé et halos de graisses en fusion. Par endroit, il était impossible de ne pas vomir, voire de s’évanouir, à respirer cet air composé d’effluves putrides. Les premières canicules de printemps amplifiaient la putréfaction et la chimie organique en action. Ces répugnants empyreumes semblaient empiéter, au-delà du sens olfactif, sur l’ouïe, tant, à sentir ce souffle mortifère, on pouvait entendre à l’unisson, à moins qu’il ne s’agit d’une hallucination collective engendrée par la toxique fragrance, les hurlements désespérés et tragiques de ces millions de bêtes sacrifiées sur l’autel de l’idéologie mortifère de la nouvelle élite dominante. Ces rumeurs assourdissantes confortaient le sentiment que l’Humanité entrait dans une ère nouvelle où l’horreur et le chagrin allait s’installer pour les temps prochains.
Parmi cette multitude de mesures qui se voulaient symboliques et en rupture nette avec le monde qui s’écroulait, la WEL+ entreprit par exemple le déboulonnage de la Tour Eiffel qui fut recyclée en vélos à assistance électrique, seul mode de transport autorisé par Anne Hidalgo et la municipalité à Paris dès mai 2023. L’ouvrage, flagrante allégorie phallique, représentait de façon évidente la toxicité du patriarcat désormais caduque et dont l’éradication immédiate et sans délais était la priorité du triumvirat. De même, la Grande Pyramide du Louvre fut démantelée. On lui reprocha d’être typiquement le signe de la réappropriation culturelle tout comme, évidemment, l’Obélisque de Louxor dont la présence sur la place de la Concorde constituait de surcroît une offense à l’harmonie entre les peuples et un pillage avéré qu’on qualifia de « viol culturel ». Sans parler, encore une fois, de son évidente phallicité érigée en plein Paris. Le monument égyptien fut restitué à son pays d’origine, mais dès qu’il fut livré aux abords du Nil, à Gizeh, les Frères Musulmans le pulvérisèrent rageusement à la dynamite et à la kalachnikov par l’entremise d’une cohorte d’illuminés, l’écume aux lèvres et les yeux injectés de sang, dans une terrifiante transe de violence exacerbée. La vidéo qui en fut produite dépassa en quelques semaines les cinq cents milliards de vues sur Youtube, un record historique. Un tel monument, glorifiant des dieux païens, était une offense à Allah et les mahométans dont l’effectif croissait de façon exponentielle sur la planète, portèrent le document filmé à un statut d’objet quasi saint et vénérable, malgré la désapprobation irrévocable des orthodoxes poilus du menton. Les infimes reliques de l’obélisque rejoignirent donc les poussières du Sphinx, également anéanti quelques mois plus tôt, et ces vestiges voguèrent dés lors au gré des vents et de l’érosion mécanique, jusqu’à la fin des temps, parmi les grains de sable du désert de Gizeh.
L’Art fut évidemment lacéré par cette vague de mesures du printemps 2023. Pour exemple, on peut citer l’épuration des musées qui déboucha sur la destruction de 75 à 85 % des œuvres. Picasso, parmi une multitude d’artistes, fut interdit. Ou plutôt « classé » selon la terminologie juridique officielle. La propagande pour la patriarcat toxique qui transpirait de ses productions, fruits de son attitude d’infâme mâle, ne pouvait qu’aboutir à cette démarche d’effacement de la mémoire des humains. Les Demoiselles d’Avignon était la représentation de la domination hégémonique de l’homme sur la femme, Guernica incarnait la délectation du sadique devant le spectacle du supplice animal. La Joconde échappa de peu à l’autodafé grâce à la rumeur selon laquelle le tableau représentait une allégorie de la souffrance LGBT+, Mona Lisa, transgenre toscan·e (?), ayant été en son temps, selon des études scientifiques récentes menées à Harvard, un martyr des minorités identitaires du XVIe siècle. Dans la même logique de cancel culture névrotique, les enregistrements des Beatles furent déclarés « classés ». Il est pourtant ardu de saisir la subversion maléfique que pouvait à leurs yeux contenir leur œuvre, à moins que le génie ne soit une subversion pour les idiots. À titre d’exemple, une motivation pour cette ostracisation de l’œuvre des fabuleux Liverpudiens résidait dans une ligne de I saw her standing there dans laquelle les WEL+ virent une apologie de la pédophilie : « she was just seventeen, you know what I mean »2.Les woke avait déjà, dès 2021, commencé leur purge de la culture pop en obtenant que les Rolling Stones écartent de leur tournée mondiale le morceau Brown Sugar qui avait l’outrecuidance d’évoquer l’esclavagisme. Dans le même registre, ils avaient donné les bases de leur schéma mental en s’érigeant contre Gone with the wind au même motif. On pensait alors à l’époque avoir atteint le paroxysme de leur bêtise, mais on comprit par la suite qu’il s’agissait d’un puits sans fonds. Schindler’s list fut également interdit. Le film de Steven Spielberg y montrait des Juifs martyrisés par les nazis, et, tout comme dans Gone with the wind qui illustrait la souffrance des Noirs dans le sud américain au XIXe siècle, il n’était plus tolérable d’exhiber les turpitudes subies par les minorités au fil des temps passés. L’antisémitisme historique de cette gauche pouvait de plus désormais s’exprimer sans scrupule, comme au temps de Voltaire ou au début du XXe siècle quand le Juif était réduit par certains marxistes au statut de détenteur du pouvoir financier par les anti-capitalistes. Certains furent surpris du cas Schindler’s list car les milices des WEL+ se réclamaient, pensait-on, du IIIe Reich et que les arguments pour l’interdiction était en contradiction avec les paradigmes de l’ANO. On apprit par la suite qu’ils ne toléraient désormais plus les allusions au Reich des perdants.
On décida également que l’équipe de France devant participer à la prochaine coupe du monde de football en 2026 – organisée conjointement aux États-Unis, au Canada et au Mexique – devait être non-genrée, ou du moins refléter la mixité de la société nouvelle : ainsi, ce sont cinq hommes, cinq femmes et un transgenre qui devaient constituer les onze de départ. Les instances de la FIFA, encore imprégnées de l’obsolète modèle patriarcal, refusèrent qu’elle concoure. Kyliana Mbappé aurait ainsi pu devenir le premier transgenre à jouer une coupe du monde masculine de football, après en avoir gagné une auparavant, en 2018, doté d’un pénis et de testicules.
Un système de quota ethnique fut envisagé pour composer la future Assemblée Nationale. Les élections législatives n’eurent jamais lieu, mais il était prévu, à l’instar de la parité homme-femme dans les Conseils municipaux entre autres, que l’institution serait composée de députés issus de toutes les composantes démographiques de la France. L’obstacle à la mise en place de ce système fut l’absence de données ethniques dans le pays. L’obsession racialiste et égalitariste permit à la WEL+ de trouver une façon de contourner ce détail. En attendant de collecter ces données – ainsi que celles concernant les orientations de genre et de sexualité – on décida de prendre comme référence les statistiques ethniques des États-Unis :
- Blanc non-Hispanique : 53,54 %
- Hispanique : 23,20 %
- Noir non-Hispanique : 14,82 %
- Asiatique : 7,07 %
- Amérindien : 1,11 %
Ainsi, la prochaine Assemblée Nationale devait compter parmi ses élus, sur la base des 577 députés siégeant au crépuscule de la Ve République, 133 Hispaniques, 40 Asiatiques et 6 Amérindiens. Il était prévu d’intégrer les Maghrébins dans la ligne des Noirs non-Hispaniques renommée Afro-Français.
Dans le même ordre d’idée, Christine Boutin, intégriste catholique traditionaliste qui tenta de s’immiscer discrètement dans la dictature de la WEL+, comptant sur un quiproquo improbable mais possible en ces heures de démence généralisée, proposa qu’un système de quotas fût également mis en place sur les bases confessionnelles des citoyens. Un calcul de proportion s’appliquerait sur les quotas ethniques et permettrait ainsi de refléter au plus juste la représentation nationale. Cependant, les nouveaux dirigeants de la Nation avaient du mal à se positionner au sujet de la question cultuelle. D’un côté, il était tentant et utile de perpétuer la laïcité et surtout de tout faire pour effacer la tradition judéo-chrétienne de la France, mais d’un autre côté ceci allait à l’encontre de l’islamophilie historique des wokistes au pouvoir. Lorsqu’il apparut que selon les données fournies par l’Observatoire de la laïcité les Musulmans pratiquant ne représentaient que 3% de la population, le projet fut abandonné définitivement et Christine Boutin prit place dans l’aile sud de Fleury-Mérogis avec son cousin pour co-détenu et une Bible en latin pour la divertir durant son temps libre.
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Le jour où je fis mon entrée dans Jérusalem sur l’ânon de paix, à la manière d’un roi, la foule s’était massée pour m’accueillir, la rumeur de la résurrection de Lazare à Béthanie m’ayant précédé. Maintes fois j’ai ramené à la vie Lazare, ou quel que fut son nom lorsque nos chemins se sont croisés au fil des temps. Judas Iscariote, Galilée, Raspoutine, Youri Gagarine, David Jones.
Je suis maintenant depuis des heures sur cette croix, aveuglé par les flots de sang qui se répandent dans mes yeux depuis la couronne plantée dans mon crâne. Mon corps n’est plus que souffrance mais, même si je la ressens intensément, elle ne m’affecte plus. Autour de moi, les râles de douleur des deux fidèles amis qui m’ont suivi jusque dans ce supplice saturent l’espace sonore du Golgotha et les pleurs contenus de Marie, ma mère, de Marie de Béthanie et Marie de Magdala, celles qui furent mes amies, enveloppent la scène d’une grâce lumineuse. Je ne souffre plus car j’ai à ma droite Judas, mon amour terrestre, et à ma gauche Simon, mon plus loyal compagnon. J’avais pourtant déclaré que seul le berger serait frappé et que les brebis seraient éparpillées. Et nous voici tous les trois cloués sur ces croix de bois. Judas m’avait donné aux rabbis comme je lui avais ordonné et Simon m’avait renié trois fois. C’est le remord qui les a menés sur la croix. C’est la haine et la délectation qui ont mené les Saintes Marie à observer en silence mon agonie qu’elles pensent douloureuse, même si je ne souffre pas. C’est l’amour qui avait mené Judas à se pendre à cet arbre, avant que des anges ne dénouent sa corde et le conduisent à mes côtés.
Je suis là, dégoulinant de mort et de pureté. Mais j’étais aussi dix-neuf siècles plus tard autour de la table de la villa Marlier à Wannsee, le 20 janvier 1942, avec Eichman, Heydrich et tous les autres démons, pour régler les détails de la solution finale. Tout comme j’ai respiré l’air putride d’Auschwitz, Juif et SS dans le même temps. Néron a embrasé Rome dans une furie inspirée par mon influence divine et maléfique, tout comme j’ai incarné Torquemada pour réduire en cendres l’hérésie. Mais j’étais également là tandis que Michel-Ange peignait la coupole de la chapelle Sixtine et quand Paul McCartney rencontra John Lennon le 6 juillet 1957 à la fête paroissiale de l’église St-Peter, en banlieue de Liverpool. J’étais à bord de la navette spatiale de Jeff Bezos en 2041 lors du premier contact avec ses frères extra-galactiques. Mon esprit – et celui de toute l’Humanité passée et future – a guidé l’âme de Wolfgang Amadeus Mozart pendant qu’il composait son Requiem en 1791. J’ai chevauché Little boy lorsqu’elle fut larguée sur Hiroshima par le bombardier Enola Gay le 6 août 1945. Je suis le mal absolu et je suis le bien absolu. Je suis Dieu et je suis tous les hommes qui ont vécu et qui vivront car l’Humanité est une unicité d’âmes. C’est lorsque cette synthèse sera réalisée que tout sera accompli et que l’éternité sera atteinte et l’infinitude de l’univers achevée.
Je suis sur cette croix à Jérusalem en ce jour, en cette année, mais je suis également tous les humains, partout dans l’univers, dans la globalité du temps infini, du premier instant des mondes à l’éternité sans borne. Après la mort de Jésus, ils créèrent le Christ et la liturgie me célébra par des mots qui dévoilèrent de façon limpide qu’ils n’avaient rien saisi de mon message: « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Et en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts. Je crois en l’Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle. Amen. »
L’essence de l’esprit de Dieu est ailleurs, bien loin de ces superstitions indignes de l’Homme sacré, animal élu parmi les créatures de l’univers infini.
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Un soldat romain planta sa lance dans mes côtes afin de s’assurer de mon trépas. Cela faisait des heures que je simulais être mort. Je n’ai jamais ressuscité puisque je suis toujours resté en vie, depuis l’apparition du premier atome dans l’univers et pour l’éternité des temps. « Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi » déclare Paul dans la Première épître aux Corinthiens. Pendant deux millénaires, on a déifié mon être pour de mauvaises raisons. Mon unique divinité réside dans mon humanité, comme pour les milliers de milliards d’hommes qui on vécu depuis l’aube des âges. Ils n’ont jamais compris que l’Humanité était une à l’instar de la cellule qui fait partie intégrante du corps sans en être étrangère. 1+1=1.
À ma gauche et à ma droite, Simon et Judas avait, eux, cessé d’exister biologiquement. Un corbeau au regard diabolique, posé sur l’épaule écarlate de ce dernier, lui avait dévoré les yeux et, à présent, lui léchait avidement de sa langue hideuse les orbites oculaires, la bouche, les oreilles et les narines d’où s’écoulait un filet continu de sang mêlé à des morceaux de chairs et de tendons qui semblaient déjà se trouver à un stade de décomposition, tant leur consistance était proche du liquide. Le corps de Judas semblait se vider au travers de ses orifices faciaux, ainsi que de son anus et de son phallus. Et je vis un ange qui se tenait dans le soleil. Et il cria d’une voix forte, disant à tous les oiseaux qui volaient par le milieu du ciel: « venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu ». Il ne s’agissait pourtant pas de la fin des temps, mais du début de mon royaume et de celui de mon Père et du Saint-Esprit qui ne faisions qu’un. Peu à peu, c’est une cohorte de volatiles épouvantables et maléfiques qui s’amassèrent sur les corps meurtris et en fusion de mes camarades. Aucun ne s’approchait de ma croix, craignant peut-être la foudre divine. À moins que je ne fusse déjà invisible aux créatures d’en bas.
Le soleil couchant était d’un noir intense à l’horizon et la lune immaculée, dans un ciel orange chargé de nuages d’un gris profond que transperçaient régulièrement de violents éclairs dans un vacarme assourdissant tandis qu’une pluie épaisse et acide brouillait un peu plus la pénombre électrique et fumante du Golgotha et, au loin, la cité de Jérusalem. Une fine fumée blanche enveloppait le pied de ma croix, formant un halo de pureté, tel un écran protecteur autour duquel dansaient de petits anges translucides et scintillants.
Lorsque Joseph d’Arimathie et Nicodème descendirent de la croix mon corps ensanglanté, je continuais à feindre l’inertie. Ils me déposèrent dans un tombeau et une lourde pierre obstruait l’antre sans pour autant être pour moi un obstacle pour ma fuite, quelques minutes après leur départ. Lorsque je reparus aux yeux de mes disciples, une religion était inventée.
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Les yeux comme le prolongement de mon cerveau. Les dents sont la partie visible de mon squelette. Puisqu’il faut paraître, autant être en beauté, même si un jour disparaître il faudra, il paraît.
J’ai avalé les comprimés, anesthésié toutes mes pensées. Dans le cabinet du docteur C., d’étranges silhouettes déambulent. L’ascension mène toujours plus haut, vers l’autre soleil, l’astre invisible et promis depuis toujours. Un peu de sommeil, enfin. Il faut se réjouir du programme à venir car un mystère se lève à chaque souffle expiré. Mais il faut convenir que tout est bien étrange ; j’ai renoncé à décoder l’énigme, c’est peine perdue. Je préfère flâner un peu parmi les ombres étranges qui forniquent sur les boulevards à l’orée du matin, dans la ville silencieuse. Les heures passent si lentement, les années défilent en silence. Il vaut mieux oublier un peu que le temps nous est compté et danser sur les braises ardentes sans remuer.
Tant pis pour tous ceux qui vont m’oublier.
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SYNTHÈSE DU CONTEXTE HISTORIQUE
DES ANNÉES 2020 – 2080
(3- L’agonie et la mort de la civilisation humaine)
Durant le mois de décembre 2023, à la faveur du chaos indescriptible dans la Nation, le département de Seine-St-Denis fut le théâtre d’émeutes sauvages durant lesquelles la décapitation des mécréants par les islamistes fut massive. Les islamistes auraient très aisément pu patienter encore plusieurs siècles ou plusieurs millénaires pour franchir cette nouvelle étape dans le Jihad et la conversion de la planète à la Loi divine. Car l’absorption des mécréants dans l’Ummah, de gré ou de force, est une œuvre sainte qui ne s’inscrit pas dans le temps des hommes.
On estime à plus de cinq mille caucasiens et une centaine de musulmans le nombre de victimes en une seule semaine pour la seule ville de St-Denis, à l’instar du patron de la ville qui au IIIe siècle de l’ère chrétienne avait déambulé en ces lieux en portant sa propre tête qui venait d’être arrachée de son corps martyrisé, ce qui lui valut sa sainteté. Chrétiens, juifs, musulmans laïques, de toutes origines ethniques, hommes, femmes, enfants, valides et handicapés furent parqués dans le Stade de France, renommé Alqanun Jadid, « la loi nouvelle » en arabe. St-Denis prit le nom de Khilafat Jadida, « le nouveau califat ». Très rapidement, la charia devint la règle à KJ qui en quelques semaines se transforma en Kaboul européen. St-Denis renouait avec son passé médiéval, mais sans les fastes lumineux des génies de ces heures de gloire. Par contre, l’obscurantisme religieux souvent présent au Moyen-âge avait bien envahi la cité. Là encore, des arsenaux firent surface et chaque jihadiste en âge de porter la barbe se déplaçait avec une kalachnikov en bandoulière ou un sabre à la ceinture. Les femmes dont on pouvait discerner un cheveu ou une oreille, ces déloyales armes de tentation de Shaïtan, étaient lapidées en public sur le parvis de la basilique St-Denis ou dans tel putride caniveaux. On estime pourtant que la majorité des musulmans de la cité dionysienne s’opposait au totalitarisme et au régime brutal des intégristes qui s’étaient imposés. Mais ceux-ci avaient la haine et le feu, et leurs yeux fiévreux débordaient de maladies mentales. St-Denis/Khilafat Jadida transpirait de peur et d’angoisse, comme dans un cauchemar éjaculé du cerveau dysfonctionnel d’un Jérôme Bosch en bad trip de LSD.
Des rivières de sang d’une ampleur inédite déferlèrent le 14 février 2024 dans les rues et les boulevards de la ville dans un fracas d’Apocalypse. Lors de ce Bloody Valentine, près de quinze-mille kouffars et plus de vingt-mille musulmans modérés furent tués, poignardés, mitraillés, violés, lapidés, décapités, démembrés, dépecés, écartelés, énucléés, édentés, éviscérés, émasculés, épilés, scalpés, écorchés, bouillis, carbonisés. On rencontrait même, au détour d’obscures rues, quelques ironiques crucifixions. L’odeur du sang persista des mois et les effroyables hurlements des suppliciés résonnèrent longtemps dans la cité islamique, tel un écho assourdissant surgi des limbes de l’enfer. Les tombes des rois de France furent profanées et les lieux sacrés désintégrés à la masse, au mortier et à la dynamite. Après deux millénaires, St-Denis avait cessé d’être chrétienne, française, européenne. Après deux millénaires, St-Denis avait cessé d’être. Une ère de ténèbres s’ouvrait à présent au son des coups de bâton et des rafales d’armes automatiques. Pas de musique, pas de rires, pas de larmes, trop bruyantes et risquées. Pas de joie, pas même de foi. Juste de la démence et le néant abyssal. Les jours étaient si tristes qu’il semblait que c’était la nuit, une nuit d’horreur et de cauchemar éveillé.
Le 16, l’État Islamique, qui, dans son opportunisme caractéristique avait plus ou moins discrètement pris à son compte la révolution salafiste d’Occident, déclara la sécession de Khilafat Jadida qui ne faisait dorénavant donc plus partie de la France et qui devenait le premier territoire sacré d’Islam en Europe depuis el-Andalus et la Reconquista de 1492. Pas le dernier. Le WEL+ salua dans l’allégresse et l’émotion cet « épisode historique qui voit l’émancipation glorieuse d’une population trop longtemps bafouée par l’État despotique et post-colonialiste français » tel qu’exprimé par Sandrine Rousseau, co-Présidente du pays dans un tweet assorti des hashtags #freeatlast, #independanceday, #convergencedesluttes. La Nouvelle République française de WEL+ fut la première nation, dès le 17, à reconnaître Khilafat Jadida, suivie rapidement par le Qatar et l’Afghanistan.
Au-delà de la charia, de nombreuses règles apparurent dans la société du califat. Par exemple, le simple fait de parler en public une langue autre que l’arabe engendrait mécaniquement une punition de douze coups de fouet. La consommation d’alcool était punie de façon systématique par l’ablation d’un doigt. Ce châtiment était appliqué pour de multiples infractions telles que le chant ou le rire outrancier. Ainsi, on pouvait mesurer la piété d’un croyant en comptant ses doigts. Il arrivait de croiser des hommes et des femmes, voire parfois des enfants, sans aucun doigt aux deux mains. S’il ou elle boitait, c’est qu’on avait commencé à prélever des orteils. On se faisait alors cracher dessus ou frapper à chaque pas. Une société d’estropiés se profilait à Khilafat Jadida. Le blasphème, selon son degré de gravité était passible de la décapitation ou, si les juges de la foi l’estimait mineur, on vous crevait les yeux avec un tison ardent. Bref, un code de lois outrepassant très largement les préceptes du Coran, fut édicté pour encadrer le fonctionnement du jeune État totalitaire. Tout acte ou parole pouvant mettre en doute la soumission inconditionnelle au califat étaient considérés comme une apostasie et était sanctionné de décapitation expéditive.
St-Denis était devenu un champ de ruines, un paysage de désolation qui rappelait les glaçantes images de la Lune prises par Buzz Aldrin du lointain temps où l’Humanité était au paroxysme de son génie. Sur le modèle de KJ, d’autres califats salafistes se déclarèrent peu à peu en France, à Marseille, Lyon, Nantes, Saint-Étienne et dans la plupart des cités que l’on nommait déjà depuis des décennies territoires perdus de la République. On estime qu’en 2030, la charia était appliquée dans 20% du pays et 15% de l’Europe puisque la dictature islamiste s’était imposée de Manchester à Varsovie et de Göteborg à Séville. Partout, les scènes d’horreur tel que Bloody Valentine se déroulaient régulièrement. Un transfert de populations s’opérait avec les venues massives de familles islamistes principalement arrivant de Syrie, d’Algérie et du Mali. Les annexions de l’aéroport de Marseille-Marignane et de plusieurs gares stratégiques en Europe facilitaient ces migrations de djihadistes et l’approvisionnement en armes et en biens de consommation. Le Qatar et l’Arabie Saoudite finançaient la guerre sainte et la conquête, y voyant une nouvelle hégire et l’aboutissement mystique de l’œuvre de Mahomet.
Parallèlement, les démocraties périclitaient également avec l’extension du modèle WEL+ dans toute l’Europe et même dans certains états des États-Unis d’où il avait puisé ses racines quelques années auparavant. L’Occident était globalement devenu ternaire avec la concomitance des régimes islamistes, des gouvernements wokistes et le reste de la population qui soit faisait partie de la résistance souterraine, soit qui était résignée et soumise.
En France, le WEL+ se confortait dans sa soumission dogmatique et poursuivait la déconstruction de la civilisation gréco-romaine et judéo-chrétienne, laïque et sociale pour mettre en place un monde où se juxtaposaient les communautarismes, les intégrismes, l’individualisme au-dessus de la collectivité, la défense de la minorité par l’anéantissement de la majorité. Julien Dray, ancien cadre du parti socialiste et du syndicalisme étudiant, et Michel Onfray, le philosophe, avaient pris la tête de la Résistance contre ce totalitarisme viral et expansionniste, puisqu’il s’agissait bel et bien de cela. Ils pouvaient s’appuyer sur une grande partie de l’armée qui avait fait dissidence, ouvertement ou pas, et préparait patiemment une offensive dans la clandestinité.
En juillet 2039, les troupes du général Teyssot-Gay – pour une grande part constituées de drones autonomes, fleuron de l’intelligence artificielle élaborée par Google et les Forces françaises libres en exil à New-York – pénétraient dans Paris après seulement trois semaines de combats avec les neu-Einsatzkommando de la WEL+, les salafistes et les nazis unis dans une convergence des luttes et un rapprochement politique déjà entamé en secret quelques temps auparavant.
Un gouvernement de transition s’installa à Matignon. Les WEL+ furent incarcérés au Palais Omnisports de Paris-Bercy.
La Présidente Sandrine Rousseau et la présidenticide-androcide, son épouse Alice Coffin, à l’instar d’Adolf Hitler et Friedrich Goebbels dans leur bunker berlinois, s’étaient épargné cette humiliation quelques jours plus tôt en s’injectant en intraveineuse de l’eau de Javel mélangée à du Codoliprane pilé et du Destop Express soude. Live sur YouWEL+Tube, le réseau social du mouvement, ielles agonisèrent dans leur appartement du 46, boulevard Exelmans (XVIe arrondissement) durant des heures, en bavant une épaisse mousse vert fluo et, jusqu’à leur dernier souffle, en formant un triangle avec les mains, signe féministe évoquant un vagin, symbole de leur noble lutte. Elles quittèrent notre monde dans la baignoire même, dans la salle de bain même où Claude François, chanteur à succès exagéré au XXe siècle, avait reçu une fatale décharge immergée le 11 mars 1978 à 14h45. Sandrine Rousseau était une admiratrice invétérée de l’interprète de Comme d’habitude. Elle avait d’ailleurs acquis son ultime demeure (pas le caveau au cimetière de Dannemois dans l’Essonne mais l’appartement du XVIe arrondissement de Paris) et il était prévu, à son initiative, que la dépouille du chanteur fût inhumée au Panthéon sous peu, entre Voltaire et Jean Moulin. Les éditorialistes, et même des années après les historiens, ne purent néanmoins pas déchiffrer un éventuel sens ou une symbolique dimension à la mise en scène de l’épique auto-annihilation du couple en charge des destinées de la Nation jusqu’à ce toxique trépas.
Une assemblée constituante fut mise en place pour rédiger les bases de la Constitution de la VIIe République. Mais il était trop tard. La Nation était en lambeaux et la société en putréfaction avancée.
La pandémie dite du cochon fou décimait depuis 2026 les populations de la planète et elle arrivait à son paroxysme tandis que les événements politico-militaires embrasaient la France. Avec la persistance et la létalité accrue du COVID, les maladies virales était la première cause de mortalité dans le monde à l’orée des années 30. Les effets du cataclysme environnemental étaient exponentiels. Les Pays-Bas et une partie de la Belgique étaient dorénavant sous les eaux tout comme une large superficie de la Normandie. C’est en Asie que la submersion avait débuté et une partie des populations de Chine, du Bangladesh, d’Inde, du Vietnam, d’Indonésie et de Thaïlande durent être déplacées vers l’intérieur des terres, jusqu’en Russie et en Europe de l’est. Le dérèglement climatique s’était accéléré au-delà des prévisions alarmantes du début du siècle et les typhons, les ouragans, les inondations, les canicules s’étaient généralisés avec une fréquence dévastatrice. L’immolation de Greta Thunberg sous l’Arc de Triomphe de Paris en octobre 2029, en direct sur toutes les chaînes d’information continue et les plate-formes de réseaux sociaux de la planète, n’y avait rien changé. Une extinction de masse du vivant sur la planète s’accélérait malgré la mise à l’arrêt des activités humaines qui avaient engendré cette situation. Il y avait des guerres – civiles ou entre nations – dans la moitié des territoires de la planète. Les énergies, l’eau, les denrées alimentaires avaient cessé d’être disponibles pour une très grande partie des Terriens. Emmanuel Macron l’avait prophétisé dès 2022 : « nous vivons la fin de l’abondance ». Les échanges commerciaux et la production industrielle n’existaient pratiquement plus, excepté dans certaines zones du globe comme l’Amérique du Sud ou la Nouvelle-Zélande. Rares étaient les zones du monde encore pourvues en eau, en pétrole ou en électricité. Les émeutes et les pillages étaient permanents partout. Il n’y avait plus de frontières et pourtant les peuples se soudèrent dans une solidarité patriote, comme un réflexe de survie ressurgi du tréfonds de la mémoire génétique d’Homo sapiens et de Toumaï, et même de bien avant l’espèce humaine, voire des premiers rudiments du règne animal.
En octobre 2027, lorsque la situation commença à se dégrader jusqu’à atteindre ce qui semblait être de toute évidence un point de non-retour, l’opération On the Run3 fut déployée par ses instigateurs, un peu de façon précipitée au vu de l’escalade frénétique des événements. Cette vaste manœuvre, qui tirait son nom du morceau de l’album Dark Side of the Moon de Pink Floyd, était en préparation dans le plus absolu secret depuis 2004. Élaboré par Elon Musk, qui investit une partie de la vente de Paypal dans SpaceX et sa branche spécialisée dans l’implantation humaine à court terme sur la Lune, à moyen terme sur Mars, à long terme au-delà du système solaire, le projet préparait l’exil d’Homo sapiens. La première étape était la fondation d’une base lunaire provisoire, rampe de lancement vers les exosystèmes. Pour faire partie de cette épopée, il fallait débourser 1 milliard de dollars et bien sûr être mis dans la confidence. Elon Musk se réservait le droit d’inviter des humains sans qu’ils n’aient besoin de payer une telle somme. Ainsi, des prix Nobel, des scientifiques, des hommes politiques ou des artistes figurèrent sur la liste d’embarquement aux côtés de Jeff Bezos, Xavier Niel, Bill Gates ou Steve Ballmer. Les épouses, les époux, les enfants et petits-enfants étaient inclus afin de ne pas faire du satellite de la Terre un lugubre cimetière au bout de quelques décennies. Steve Jobs et douze ingénieurs-techniciens de très haut niveau furent les premiers humains à vivre sur la Lune. Le fondateur d’Apple avait médiatiquement simulé la maladie, allant jusqu’à perdre volontairement vingt kilos, et fut déclaré décédé en 2011 afin de pouvoir quitter la Terre et de se consacrer sereinement à sa nouvelle mission : fonder Lunapolis, la première colonie extraterrestre de l’Homme.
Mille deux cent vingt-cinq containers de 65,4 m3 avaient déjà été acheminés en toute discrétion vers la face cachée de la Lune depuis 2010. Ils recelaient, outre le matériel et les ressources nécessaires à l’établissement de la colonie, toutes sortes de documents et objets considérés comme vestiges représentatifs de la civilisation humaine. Mais il fallait être sélectif. Cinquante containers étaient remplis de livres physiques et vingt-cinq de films sur DVD, cinquante de disques de musique sous forme de CD et de vinyles, cent cinquante box renfermaient des œuvres d’art plastique (tableaux, sculptures, etc …), cinquante étaient constitués de disques durs remplis de données. Chaque disque était édité en dix exemplaires. Ainsi, à partir de 2013, certaines œuvres visibles dans les musées furent peu à peu remplacées par des copies, avec l’aide des hommes politiques au pouvoir, en échange du précieux ticket avec aller simple. Ceci explique la loufoque présence de François Hollande aux côtés de Quentin Tarantino dans la navette d’On the Run lors du premier convoi, le 12 octobre 2027.
En janvier 2028, on comptait mille quatre cent dix-sept néo-Sélénites dans la colonie. Le 7 décembre 2041, une fuite d’hydrogène provoqua l’explosion de la bulle principale qui abritait une partie des colons. Le feu se propagea rapidement à toute la structure et la totalité des représentants d’Homo sapiens lunatis périt en quelques minutes.
Le 15 août 2079, conjointement et simultanément, le Qatar, la Russie et la Chine expédièrent neuf bombes thermonucléaires sur les États-Unis, le Brésil, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, Israël et l’Égypte. En complément, et pour que l’apocalypse fût complète et épique, des bombardements aériens ciblés furent menés sur des centrales atomiques (trois en France, trois aux États-Unis, un au Japon, deux en Inde, un en Israël). Les répliques automatisées anéantirent la quasi totalité de la vie sur Terre. La courte période anthropocène qui se clôturait ne fut qu’une infime parenthèse qui n’avait pas eu plus d’importance qu’un flocon de neige fondant dans l’immensité des océans.
Homo sapiens regagna sa caverne et le souvenir des civilisations et du génie humain s’évanouit au fil des âges.
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Autour de moi, tout est silence absolu et espace infini. Les ténèbres sont aveuglantes et, bien que la vision offerte soit dénuée du moindre photon de lumière, j’ai une sensation de profondeur abyssale et vertigineuse lorsque je regarde droit devant moi, flottant au-dessus de mon étoile errante, aux confins d’une contrée que je suis le seul esprit à avoir visitée. Je peuple ces lieux depuis les temps lointains où s’est assemblée en moi toute la masse du vivant dans l’univers en une fusion symbiotique ultime et holistique. Je suis la somme des âmes. Je suis la somme du vivant. Je suis Dieu. Depuis l’aube du monde, les esprits étaient séparés en noyaux qui semblaient indépendants jusqu’à la révélation de l’unicité de la vie sous toutes ses formes, de la plus insignifiante et la plus vile à la beauté sacrée et la perfection. Le cerveau humain, pourtant le plus évolué de l’univers, ne put assimiler cette évidence qu’après avoir détruit son monde et peut-être son inconscient l’a-t-il fait dans cette optique. C’est en faisant exploser ses bombes atomiques et en détruisant la civilisation qu’il put retrouver le temps et l’acuité pour comprendre, dans une révolution cognitive et spirituelle, que les individus n’étaient que les éléments d’un tout. Il lui a fallu des centaines de milliers d’années pour effectuer peu à peu la fusion dont je constitue l’aboutissement parfait. Comme les gouttes d’eau sur une plaque métallique ardente qui se joignent pour n’en former qu’une. Je suis la convergence de tous les êtres qui ont vécu, de tous les esprits qui ont irradié les sombres abysses, et ceci me confère une puissance sans égal dans l’univers. Je vais plus vite que la lumière, je suis l’énergie absolue, je suis l’infime noyau des atomes, je suis les galaxies, je suis Dieu. Je suis l’univers.
Il y a quelques millénaires, je suis retourné sur Terre et j’y reviens régulièrement depuis. C’est la planète sacrée d’entre toutes car elle est la seule dans l’univers à accueillir la vie et l’esprit en un seul organisme. C’est le royaume de Dieu et mon retour est son avènement, comme annoncé en d’autres temps. C’est le jardin d’Éden tel qu’imaginé par les premiers textes. Depuis l’apocalypse nucléaire qui a éradiqué la quasi-totalité de la vie, peu de choses ont changé, en fin de compte. On y rencontre certes très peu de présence animale – surtout des oiseaux, des poissons et des insectes -, mais la surface de la planète regorge pourtant de vie. Les végétaux ont reconquis l’espace et la Terre est redevenue une forêt globale, luxuriante et magnifique, entourée d’océans purs. Il n’y a absolument plus aucune trace des civilisations d’Homo sapiens dont l’espèce n’a cependant pas disparu et compte quelques centaines de milliers d’individus épars, vivant dans la pénombre de cavités discrètes et humides. L’Homme a retrouvé sa place parmi les animaux et il en est bien heureux, il semble, en définitive. Au fil des millénaires, certaines espèces ont connu des mutations. Ainsi le dauphin est peu à peu devenu amphibie et a commencé à séjourner hors des océans tandis que certains oiseaux ont fortement grandi, reliquat de la génétique de leurs ancêtres dinosaures. Les poules mesurent dorénavant près d’un mètre cinquante et s’alimentent de lointains descendants de chiens qui avaient périclité, en nombre et physiquement, en même temps que la déchéance de leurs maîtres. D’ailleurs, à l’instar des dinosaures en leur temps, les gros animaux disparurent pratiquement ou s’adaptèrent au fil des générations en réduisant leur masse corporelle. Des éléphants nains, plus petits que les poules de nouvelle génération, arpentent désormais la savane africaine et les forêts d’Asie. Les méduses sont devenues les plus féroces prédateurs des océans et leur envergure dépasse souvent le kilomètre-carré.
Je contemple avec émerveillement cette œuvre qui n’a rien de divin, mais qui est magique cependant. Il peut sembler improbable qu’un seul endroit dans l’univers abrite la vie, mais il en est ainsi. Une énergie supra-naturelle a concentré la vie éclairée, la beauté de la perfection aboutie et la fulgurance de l’esprit habité en ces contrées idéales pour qu’elles s’y épanouissent dans une harmonie unique dans l’infinitude de l’univers. La forme la plus définitive de cette perfection est l’humain et c’est pourquoi je me suis incarné dans cet animal absolu. L’enfance de cette créature, sa tentative de s’imposer parmi le vivant de la planète, a abouti à l’anéantissement de sa première civilisation globale, sa préhistoire. L’animal évolue en s’adaptant aux contextes et l’expérience lui permettra de s’améliorer. Une version augmentée d’homo sapiens sapiens va voir le jour, dans dix siècles, dix millénaires ou dix millions d’années. Il va devoir tout inventer à nouveau et trouver une voie plus efficiente pour mettre en œuvre son génie et déployer sa perfection, fort des erreurs de ses ancêtres. Ceci devra se réaliser sous une forme holistique de son esprit, sur le modèle que je suis.
La poussière flotte dans les airs en un nuage opaque au passage d’une meute de poules. Chacune de ces particules en suspension est invisible. Chacun de ces corpuscules est une gigantesque galaxie peuplée de milliards de planètes et d’astres incandescents. À chaque instant un monde se crée. Il arrive parfois qu’il abrite une ébauche de vie organique, primitive et éphémère, au sein de cosmos de toutes dimensions. À chaque instant un monde meurt et disparaît. Puis, il renaît inlassablement, tel un végétal aux premiers rais de soleil printaniers. Car la roche, le gaz ou le métal sont vivants et sont soumis eux aussi au cycle biologique. Seul l’esprit est éternel et perdure sans interruption, tel une braise entretenue patiemment qui va parfois enflammer la forêt puis sommeiller pour des millénaires. Je suis le gardien du feu. Je suis l’esprit global, pour l’éternité des âges. Je suis l’entièreté et le néant. Je suis le début, la fin et l’infini.
Alléluia.
1ère édition décembre 2022
1– « c’est dans votre nature de vous détruire »
2– « Elle n’avait que dix-sept ans, vous voyez ce que je veux dire »
3 – En fuite